Rappel des faits
L’appel d’offres à l’origine de l’affaire. En 2014, le groupement de cliniques, de Soins de suite et de réadaptation (SSR) et de maisons de retraite Orpéa décide de lancer un appel d'offres en matière d’examens de biologie médicale concernant plus d’une centaine de ses établissements en France. De nombreux LBM, travaillant, pour certains, depuis des dizaines d'années ou très proches géographiquement desdits établissements, sont impactés.
Rapidement, il apparaît que la direction achats d’Orpéa ne fait pas de différence entre un marché de couches culottes et un marché de biologie médicale. En effet, derrière l’affichage d’une qualité de service et d’une proximité présentés comme les critères premiers, le mieux-disant financier s’avère, en réalité, être l’objectif principal.
Bien que dûment avisé par les LBM de l’interdiction de la pratique des ristournes en biologie médicale, le groupe Orpéa élimine la plupart des LBM avec lequel il travaille et traite avec Unilabs en essayant d'habiller ces ristournes sous la forme d’une redevance due par le laboratoire .
Une première décision en référé du TGI de Paris. Alerté par le SDB, le SLBC et le SBLE, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris ne se laisse pas abuser par les arguties juridiques d’Orpéa et qualifie immédiatement la demande de redevance de ce dernier de « ristournes déguisées » lui interdisant de conclure le marché.
L’appel perdu par Orpéa-Clinéa. Orpéa fait aussitôt appel de l’ordonnance du juge des référés auprès de la Cour d’appel de Paris, laquelle vient donc de confirmer de façon éclatante l’ordonnance et de condamner Orpéa de manière substantielle au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (prise en charge des frais d’avocats du SDB et du SLBC).
Quelle est l’utilité de cette action juridique ?
Un ferme rappel de l’interdiction des ristournes. Les ristournes pratiquées sur les tarifs de la NABM sont interdites par l’article L. 6211-21 du Code de santé publique (CSP).
Si Orpéa peut plaider la méconnaissance de la législation, en revanche, Unilabs, société financière exploitant des LBM et cotée en bourse, ne pouvait ignorer ces dispositions d’ordre public. Mais, en tant que chaîne nationale, son objectif est d’utiliser sa direction commerciale pour capter des marchés nationaux, augmenter son chiffre d’affaires, créer de la valeur et revendre au plus offrant. Ceci n’est pas répréhensible en soi tant que la mise concurrence se concentre sur le service et non pas sur les prix, conformément à la législation.
Sans être directement impliquée dans la procédure, Unilabs est donc le grand perdant moral de cette procédure. Et ce, d’autant plus que la société a récidivé en déposant une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC N° 2014-434), toujours contre l’interdiction des ristournes qu’elle présente à la fois comme une restriction non justifiée de la liberté de fixation des tarifs, comme une atteinte à l’égalité devant la loi et comme un obstacle à l’objectif de bonne utilisation des deniers publics.
Une affaire symbolique. Le contentieux Orpéa est une affaire symbolique qui illustre le télescopage entre, d’un côté, le statut de professionnel de santé, règlementé et soumis à des normes déontologiques, et, de l’autre, la libre entreprise. L’un et l’autre sont légitimes dans leur sphère respective mais le mélange des deux ne peut que produire des conflits :
- Soit la santé est un marché libre et la société l’assume comme tel. La libre concurrence, la liberté d’installation et la liberté de détention du capital sont alors légitimes.
- Soit la santé est un marché réglementé et un service public ouvert à l’investissement privé et, dans ce cas, tout le monde doit respecter les règles.On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il faut que les financiers qui investissent dans la biologie le comprennent.
« Il faut surtout que la puissance publique soit cohérente, rappelle Richard Fabre, vice-Président exécutif du SDB. On ne peut pas, d’un côté, édicter une législation qui, en façade, règlemente une activité au nom de l’intérêt du patient et, de l’autre, céder aux lobbies financiers, à la gestion budgétaire à courte vue et à l’intimidation (amende obtenue contre le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens - Cnop) en pratiquant le laisser-faire et la loi du plus fort. »
Un exemple à suivre pour les règles de détention du capital par les exerçants. L’affaire Orpéa sur les ristournes est exemplaire. Elle appelle également à la même logique de cohérence pour ce qui concerne le respect de la majorité du capital détenue par les biologistes exerçants.
Certes, les principes essentiels sont maintenant clairement posés et le SDB a réussi, non sans mal, à les imposer, voire à les faire traduire dans les textes, notamment à l’occasion de l’élaboration de l’ordonnance de 2010 et de la loi de 2013 :
- la biologie médicale est une profession médicale (Labco, plainte de la Commission européenne contre l’État français à la CJCE) ;
- les biologistes médicaux doivent disposer de leur indépendance professionnelle par la maîtrise de leur capital (interdiction du 5-1 et article 6223-8 du CSP) ;
- les tarifs fixés par convention passée entre la profession et la CnamTS sont soumis à une application impérative et uniforme pour tous (Unilabs au Conseil Constitutionnel).
Mais cela n’est pas suffisant. Il faut maintenant faire respecter cette législation par les groupes financiers extrêmement puissants qui apprécient la règlementation quand elle les protège et la contournent ou la violent délibérément lorsqu’elle les gène.
Le combat juridique engagé par le SDB. Le SDB s’engage donc résolument dans ce combat juridique. L’affaire Clinéa montre que le juge judiciaire, tout comme la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) et le Conseil constitutionnel, font respecter le droit applicable et donnent raison à ceux qui en exigent l’application notamment par les financiers. Puisque la ristourne est caractérisée, il appartient à présent à ceux qui ont perdu des marchés de façon illégale, déloyale et anticonfraternelle de faire constater leur préjudice et d’en obtenir l’indemnisation.
Les directions financières de nos confrères doivent comprendre que la loi qui régit la biologie n’est pas celle du plus fort et du plus riche mais le Code de Santé Publique. Cette leçon vaut bien un procès.
Ils doivent apprendre aussi à écouter les biologistes qui travaillent pour eux, comme ceux du SBLE qui ont timidement tenté de faire entendre leur voix et de faire respecter leur indépendance professionnelle. Cela leur permettrait de ne pas se retrouver confrontés à ce genre d’impasse. Dans tous les cas, le SDB est là pour le rappeler.